Ma Roxelane

A Saint-Pierre, mes grands-parents habitaient une case à une époque où l’on s’éclairait encore à la lampe à pétrole. Leur maison dominait la rivière la Roxelane. Avec ma famille, nous y passions nos grandes vacances. Je m’impatientais de m’y rendre pour retrouver mes lieux secrets de jeux que je gardais précieusement.  Avec  le temps,  j’avais su apprivoiser  la Roxelane.  Agile, je pouvais me déplacer de pierre en pierre, traverser la rivière et déloger les écrevisses. La rivière m’offrait une grande sérénité et, comme le papillon, je vivais pleinement ma liberté.

De là, j’apercevais le sommet de la Pelée. Elle était immense et silencieuse. Je la connaissais déjà de réputation. Elle serait devenue inoffensive disaient les grandes personnes comme pour me rassurer. Dans le calme de la rivière dont seul le chant et celui d’un cayali pouvaient troubler le silence,  je sentais sa présence et même son souffle. Cette tueuse faisait partie du décor.

Entre la rivière et le volcan se trouvait un terrain aussi mystérieux que gigantesque. Il m’était strictement interdit de m’y rendre. L’habitation Depaz !  On ne voyait jamais son propriétaire. Il avait comme la Pelée une réputation qui faisait trembler l’enfant que j’étais. J’entendais parler de béké pour la première fois. Mes grands-parents vivaient dans leur case-nègres à cause de ses ancêtres. Je l’imaginais blanc, moustachu, avec des traits saillants qui le rendaient sévère, de grande taille, habillé de blanc et coiffé d’un chapeau colonial, vivant dans son château. Même Dieu était à ses côtés. A l’église, au premier rang, il avait un banc verni  réservé à son nom.

Dans mon refuge où la nature s’offrait à moi, je m’amusais  mais restais sur mes gardes.

François Gabourg